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bloc-notes d’Axel Gryspeerdt
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Johann Wolfgang von Goethe (Francfort, 1749 – Weimar, 1832),
l’exemple même du collectionneur voyageur et savant.
Portrait de Goethe en 1828 par J.K. Stieler
Voyager en Italie
La personnalité de Johann Wolgang von Goethe fournit une magnifique illustration de la figure d’un collectionneur héritier et héréditaire, notamment parce que son père était féru d’estampes romaines.

Lorsque Goethe était enfant, son père prenait plaisir à lui parler des peintures qu’il avait rassemblées, notamment les œuvres des précurseurs de Giovanni Battista Piranesi. De cette manière, il a inculqué à son fils ses propres goûts italianisants, en l’initiant aux merveilles du pays latin et aux sonorités de la langue italienne. Cette initiation sera particulièrement utile à Johann Wolfgang lors de ses voyages en Italie, car il pourra non seulement s’exprimer dans la langue locale, mais aussi y repérer aisément les hauts lieux à visiter.

Il est ainsi établi que cet écolage aura contribué au départ pour l’Italie de Goethe en 1786. Ce voyage fut bien plus qu’une escapade, car il durera près de deux ans, pendant lesquels le poète s’arrêta à Vérone, Vicence, Padoue, Venise, Ferrare, Bologne, Florence, Pérouse et Rome, avant de découvrir en Sicile de nombreux temples et ruines antiques.

Goethe manifestait une réelle passion pour les vestiges de la Grande Grèce antique, au point qu’une de ses représentations favorite est le tableau de Johan Heinrich Wilhelm Tischbein, le figurant dans la campagne romaine entouré de ruines et méditant sur la Grèce antique. Perdu dans ses pensées, le poète allemand est assis sur des restes d’un obélisque.
Devenu fort connu depuis lors, ce tableau fut peint à Rome, lors du passage de Goethe en 1787, par celui qui fut pour lui un ami intime et qui dessina d’ailleurs aussi des aquarelles du poète.

Tischbein - Goethe dans la campagne romaine
Tischbein - Goethe dans la campagne romaine

Tischbein a pu saisir toute la passion intériorisée de Goethe et montrer un moment d’arrêt dans la vie de celui qui fut un grand itinérant. Goethe incarne en effet parfaitement le type du collectionneur voyageur : quittant Weimar non seulement pour s’éloigner de la routine et des femmes, mais aussi pour découvrir de nouveaux univers et surtout y faire récolte d’une série d’objets qui le passionnent, qu’il s’agisse de minéraux ou de vestiges du passé : médailles, bronzes, plâtres divers.

Tischbein est-il conscient qu’en peignant un voyageur pensif, occupé à se recueillir et prêt à reprendre la route, il dresse simultanément un portrait de Goethe collectionneur, tant les expressions lexicales allemandes qui servent à désigner les deux actions sont similaires ?

Sammlung ne signifie-t-il pas tout à la fois, réunion, quête, collection, recueil, et selon certains, recueillement ?
Ainsi, dans Goethe, ou la nostalgie du voyageur, préface rédigée par Jean Lacoste au Voyage en Italie de Johann Wolfgang von Goethe, on peut lire que « le recueillement du passé se combine à la collection : l’attention portée aux choses, par ce qu’on pourrait appeler l’étude et le recueillement, par la collection et la récollection. » (Bartillat, Paris, 2003, p. XXIV). « Goethe lui-même, écrit-il, joue avec les différents sens de Sammlung » (op. cit. p. XLI).

Johann Wolfgang von Goethe illustre particulièrement bien le lien qui noue le collectionneur au promeneur (Wanderer). Il incarne parfaitement la figure que Bruce Chatwin appelle le collectionneur nomade, ce dernier se plaisant à voyager pour collectionner et à collectionner dans l’intention, plus ou moins consciente, de voyager.
Ses voyages sont le prétexte pour ramener des objets précieux pour le duc de Weimar, dont il est le conseiller privé, Charles Auguste de Saxe-Weimar-Eisenach (1757-1828), et des dessins, des antiquités, des végétaux et des pierres pour ses propres collections.
Ainsi, outre un fabuleux récit d’épopées diverses, Le Voyage en Italie (première publication en 1816-1817) constitue-il une mine de renseignements pour les collectionneurs de tous poils. Il y est question de monnaies, de fossiles, de statues, de tableaux, de dessins et de médailles, mais aussi de livres d’art, de cartes et de plans, aussi bien que de minéraux et de végétaux.
« Je ne fais pas ce merveilleux voyage pour m‘abuser moi-même, mais pour apprendre à me connaître au moyen des objets », écrit-il à Vérone, le 17 septembre, 1786 (Goethe, Voyage en Italie, Bartillat, Paris, 2003, p. 51).

Mais, le collectionneur voyageur devient également un autre lui-même. « Il s’agit d’apercevoir dans leur vérité, les choses qui sont hors de soi, œuvres d’art du passé, phénomènes naturels,...». (Jean Lacoste, op. cit., p. XXVIII). En date du 2 décembre 1786, Goethe s’exprime à ce sujet : « En général, on ne peut rien comparer à la vie nouvelle que procure à un homme qui pense, l’observation d’un pays nouveau. Bien que je sois toujours le même, il me semble que je suis changé jusqu’à la moelle des os ». (Goethe, op. cit., p. 169). C’est que le poète allemand est sans cesse à la recherche de nouveaux savoirs, de nouvelles connaissances.
De même, il recherche les occasions d’admirer et de garder des souvenirs, qui l’aideront dans sa recherche de compréhension de la vie et de la destinée. « J’ai recueilli beaucoup d’autres choses, et rien d’inutile ou de frivole (…): ce sont toutes choses instructives et intéressantes. Mais ce qui m’est le plus cher, c’est ce que je recueille dans mon âme et qui, s’accroissant toujours, peut se multiplier. » (op. cit., p.196).

Son esprit ne révèle pas seulement l’âme d’un collectionneur, mais celle d’un quêteur. Il manifeste sans arrêt une volonté de comprendre, d’analyser, de comparer, de resituer les objets dans leur contexte naturel ou historique. N’écrit-il pas, en 1790, un traité de botanique, intitulé La métamorphose des plantes et autres écrits botaniques ? En 1810, il publiera son fameux Traité des couleurs, montrant par là tout l’intérêt qu’il porte aux questions de perception.

A quelques siècles de distance, il fait penser à Jean Bessarion (1403-1472), le cardinal collectionneur humaniste du XVe siècle, avec lequel il partage de mêmes goûts pour la nature, pour les choses et pour la science. Comme ce dernier, il s’intéresse aux mathématiques, à l’astronomie et à la technique. Il voyage, il collectionne et surtout, il écrit. Déjà son père, Johann Caspar von Goethe (1710-1782) avait les mêmes soifs : il possédait un cabinet d’histoire naturelle, il collectionnait les tableaux, il administrait des biens, il avait une bibliothèque de quelque 1500 ouvrages, il s’intéressait aux médailles anciennes. Et bien sûr, il écrivit lui-aussi un récit intitulé Voyage en Italie en 1740.

En 1799, Goethe donne pour titre Le Collectionneur et les siens (paru en langue française aux Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1999) à huit lettres fictives qui, ensemble, constituent un roman. C’est dans celui-ci qu’il présente sa conception des collections privées et fait part de son intérêt pour la psychologie des collectionneurs.

Les objets conservés par Goethe, dont certains provenant de ses collections, sont désormais exposés dans une série de maisons, dites maisons de Goethe, sises dans plusieurs des villes qui l’hébergèrent, que se soit à Weimar, à Francfort, ou à Rome par exemple. Des expositions temporaires sur les Goethe, père et fils, collectionneurs s’y déroulent parfois (ex. à Francfort, en 2010).

Maison de Goethe à Francfort
Maison de Goethe à Francfort

Plus de 2000 dessins, surtout d’origine française, collectionnés par lui, sont rassemblés dans une des deux maisons de Weimar. Au total, huit maisons éclairent les visiteurs et les collectionneurs contemporains sur les diverses facettes de l’extrêmement riche personnalité de Goethe : romancier, poète lyrique, savant, voyageur, grand administrateur, dessinateur, ami d’artistes, directeur de théâtre et d’académie, amateur d’architecture, critique d’art, bibliophile, spécialiste de la couleur.

Utilisant ici un néologisme forgé au XXIe siècle, ne pourrait-on pas dire que Goethe, à l’instar par exemple de Charles Darwin, fut aussi un important « savanturier » (voir par exemple, Raphaël Enthoven, Descartes, le savanturier, audiolivre, Editions Naïve, Paris, 2009, ou Jean-Michel Billioud, Incroyables savanturiers. Ces savants-aventuriers, partis explorer le monde, embarqués dans des engins extraordinaires, Bayard, Paris, 2009), voire même un considérable « savancollectionneur » ?
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