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« L'art de ranger ses disques »
de Frédéric Béhin et Philippe Blanchet (Rivages, coll. Rivages Rouge, Paris, 2019)


Voici un petit livre sans trop de prétentions, proposé aux amateurs de rock, dont les “bonus” appelés tantôt ON/OFF, tantôt épilogue, se révèlent des sources d'inspiration particulièrement fécondes pour tout qui souhaite bâtir une collection pratiquement intelligente de disques, voire de livres, de dessins ou de documentation.

Alors que l'opuscule lui-même donne des recettes plutôt rationnelles sur les manières de les ranger, de les sélectionner et de les épousseter, ces quelques simili-bonus donnent la parole aux collectionneurs qui déploient mille ruses et stratagèmes pour rendre leur collection la plus maniable et la plus maîtrisable possibles, tout en restant la moins envahissante et la moins invasive, et la plus vivante possibles.

Ces collectionneurs parlent de leur vécu, de leurs trucs et ficelles, mais aussi de l'amour et de la passion qui les lient à leurs collections.

Parmi eux, le facétieux Robert Crumb délivre les secrets que lui permet son discalcoolisme. Ce saisissant artiste, qui donna une touche hippie fantaisiste à ses dessins, est non seulement un grand producteur de pochettes vinyles – des collectionneurs acharnés s'en arrachent les plus impressionnantes dans des salles de vente –, mais surtout un énorme fan de musique populaire, des grands orchestres de jazz des années 1925-1930 à la musique française des bals musettes. Aux États-Unis, comme en France (il vit actuellement dans le sud de ce pays), il fut vite confronté à des problèmes d'espace, donc de rangement, de sélection et de classement.

Sa manière de procéder est particulièrement éloquente, tout en restant pratiquement triviale.

Quelques “règles” y sont d'application, se résumant en un triple tri rigoureux, allié à un mode d'achat et à un type de rangement super-pratiques.

Rigueur dans le classement, qui, oh bonheur, lui permet de trouver la musique recherchée en moins de trois minutes, c'est-à-dire le temps d'écoute d'un 78 tours. Ce classement cumule l'ordre alphabétique des noms d'artistes avec les thèmes et genres (voire sous-genres) musicaux permettant un tour du monde musical (avec quelques lacunes du côté de l'Australie).

Rigueur dans la sélection, éliminant drastiquement toute œuvre d'opéra, toute musique classique, tout jazz ou tout pop modernes.

Rigueur dans la fidélité aux “meilleurs disques”. C'est à dire : assumer sa subjectivité d'amoureux des musiques populaires en question : il ne s'agit pas seulement de garder – et de se constituer un patrimoine musical – mais d'écouter et d'y prendre toujours plaisir.

Rigueur dans l'acquisition, toujours continue, en salles de vente.

Rigueur dans le rangement : étagères made in California, complétées par le savoir-faire des menuisiers français. Une astuce personnelle: “Tous les 25 disques environ, je mets des étiquettes qui dépassent des pochettes, avec le nom de l'artiste dessus”. Cela n'empêcha pas le dessinateur, qui conserve ses disques dans son atelier, d'agrandir celui-ci et d'empiéter sur les couloirs.

Ainsi voisinent quelque huit mille 78 tours, à côté de plusieurs CD, 33 tours et 45 tours. Sans oublier que collectionner est aussi affaire de créativité et d'augmentation d'un capital culturel que l'on aimerait voir partager.

À elle seule, cette interview constitue un excellent condensé de l'ouvrage, que les lecteurs les plus appliqués liront minutieusement pour découvrir sans peine quel genre de collectionneurs ils sont en confrontant leur propre choix de classements et de rangements avec ceux des auteurs et des collectionneurs qu'ils citent ou interrogent.

Axel Gryspeerdt

5 octobre 2019

L'art de ranger ses disques


Coney Island Baby


John Heneghan


R. Crumb


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