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Note de visionnage.
My Rembrandt, encore un chef-d'œuvre, cinématographiquement parlant, du Maître ?

Voilà un film qui risque de plaire aux amateurs d'art magistral et aux collectionneurs.

Réalisé en 2019 par Oeke Hoogendijk et sorti en Belgique le 5 mai 2020 en plein confinement (la première du film programmée le 4 mai au Bozar ayant été annulée), il est distribué par Cinéart, spécialiste belge du cinéma d'auteur et il rencontre déjà en quelques jours du succès auprès des amateurs de films documentaires de qualité. Il s'est vu en outre soutenu par un marketing culturel assez réussi.

Son titre, facile dans tous les sens du terme : My Rembrandt ou, pour les francophones : Mon Rembrandt.

Une série de raisons pour le mentionner parmi les films à voir.

1. Il aborde l'œuvre de Rembrandt van Rijn à la manière des meilleurs films sur l'art, à l'aune du talentueux cycle d'origine italienne de documentaires de premier choix, intitulé « Le grand art au cinéma » dédié à l'art mondial et à ses principaux protagonistes, artistes, musées, cabinets de curiosité et galeries d'art...
Un décryptage minutieux des œuvres, un soin particulier à les examiner dans le détail et à amener le spectateur à les observer de manière la plus appliquée possible. Un vrai bijou en cette matière de présentation de tableaux clefs du maître du XVIIe siècle et de tableaux peu connus, voire inconnus, car provenant de collections privées.
Mais diantre, comment a-t-il fait cela ?, demande un des interlocuteurs du film ?
Et ceux-ci ne s'interrogent-ils pas sur la manière de peindre de Rembrandt, en insistant sur sa rapidité : « Il peignait à toute vitesse ».

2. Le mérite principal, voire l'originalité du propos consiste à donner la parole aux collectionneurs du XXIe siècle des peintures de Rembrandt – hé oui, il en existe encore aujourd'hui, en dehors des grands musées. Oeke Hoogendijk leur a demandé d'expliquer comment ils vivent avec les chefs -d'œuvre et sous quel angle les regarder pour bénéficier au mieux des talents de Rembrandt. Ce sont eux qui, dans le film, nous aident à les voir, à les décortiquer, à les apprécier, par leur regard acéré et, en même temps, amoureux.
L'un d'entre eux, le grand collectionneur américain Thomas S. Kaplan, qui a déniché une dizaine de Rembrandt et de Gerrit Dou ne déclare-t-il pas avoir embrassé sur les lèvres un des portraits féminins exceptionnel de l'artiste !
Quel plaisir de voir ainsi déployé toute la passion de ces collectionneurs qui peuvent jouir quotidiennement de la présence des portraits peints par le maître, comme si ceux-ci faisaient partie de la famille, étaient des intimes, des préférés et des chouchous. Pas peu dire : l'un d'entre eux le collectionneur Jan Six van Hillegom, galeriste, découvreur et collectionneur et fils de collectionneur, voit dans la maison de son père le portrait peint par Rembrandt de son aïeul du même nom, avec lequel le peintre était lié d'une amitié profonde. Les époux Eijk et Rose-Marie de Mol van Otterloo exposent leurs doutes et leurs inquiétudes. Les voilà tous émouvants, ces collectionneurs interrogés vu l'émotion même avec laquelle ils traitent les tableaux en question. Ils n'hésitent pas à les cajoler, les soupeser, les tâter. Le plus acharné d'entre eux serait-il le Duc de Buccleuch ? En son château en Ecosse, entouré de 30.000 hectares de terres, regorgeant d'œuvres d'art anciennes.

3. Ce qui les attire dans l'œuvre de Rembrandt, c'est avant tout le rendu des visages, des habits et des parements, mais aussi les formes et le maniement des couleurs. Ils sont à l'affût des caractères psychologiques des personnes représentées, commentant l'arrogance de l'un, la simplicité d'une autre, le degré de complicité par exemple d'une femme en train de lire, dont ils imaginent les réactions suscitées par la lecture et l'environnement. Qu'arrive-t-il quand elle lève les yeux de son livre ? Depuis son château écossais, Richard Scott, duc de Buccleuch, ne déclare-t-il pas que cette femme lisant est la personnalité la plus forte de sa maison ? Ne recherche-t-il pas pour son portrait la place la plus agréable pour « vivre avec elle » ? Ne se met-il pas à lire à ses côtés dans la même position, « le souffle coupé par sa présence tangible » ?

4. Mais en outre, autre raison d'apprécier le film, le documentaire suit tous les canons d'un film de fiction bien réalisé. N'hésitant pas à placer des éléments d'intrigue, de la quête et du suspense dans le déroulement de son scénario. Certaines œuvres sont-elles d'authentiques Rembrandt, ou seulement des productions de « son cercle » ? Cela valait-il la peine d'enchérir chez Christie's si ce n'est pas le cas ? Et l'acquéreur a-t-il réussi l'exploit d'identifier parmi la masse des tableaux une réalisation du maître ? De valoriser doublement son achat : par la reconnaissance de la qualité de son œil et de son jugement et par l'énorme plus-value financière réalisable en cas de revente. Et cet homme, cet acheteur, ce collectionneur, cet amoureux de l'œuvre de Rembrandt est-il un héros de la découverte, ou au contraire un fabulateur, un menteur, voire un escroc, accusé de duperie et de trahison, accaparant à lui seul une œuvre qui aurait pu être achetée collectivement ? A-t-il gagné la partie ? L'a-t-il perdue ? Le voici du moins toujours à la recherche d'un « Rembrandt inconnu ».

5. Le film fourmille de gros plans de visages, dont le spectateur est amené à discerner les états d'âme, qu'il s'agisse de portraits peints ou de personnes interrogées. Une séquence particulièrement bouleversante est fournie par l'observation minutieuse et dubitative d'une série de connaisseurs de l'art scrutant, dans l'atelier de restauration du Rijksmuseum d'Amsterdam, où l'avait apporté Jan Six XI, la composition d'un portrait que pourrait avoir peint Rembrandt lui-même.

6. Les dessous diplomatiques du marché de l'art ne sont pas évacués. Les tractations au plus haut niveau entre la France et la Hollande sont détaillées, lors de la lutte qui opposa le Louvre et le Rijksmuseum d'Amsterdam pour se procurer deux des toiles du maître, vendues par la famille Rothschild. Elles finirent par donner lieu à un accord politique et culturel. De même les conflits, joutes et compétitions entre collectionneurs font partie du scénario.

7. Le don et le prêt des œuvres d'art aux grands musées sont valorisés par ces collectionneurs, dont l'un déclare « avoir retiré de la sphère privée plus de deux cent œuvres d'art pour les rendre accessibles au public » et dont d'autres ont fait donation au Museum of Fine Arts, Boston, de l'entièreté de leur collection de toiles peintes de maîtres hollandais.

8. La thématique complexe des rapports entre père et fils est sous-jacente à l'intrigue filmique, qu'elle soit suscitée par l'œuvre de Rembrandt – ex. Abraham et Isaac –, par la vie de Rembrandt (son fils Titus et lui), par Martin et Sander BIjl, respectivement restaurateur et spécialiste en art, ou encore par les descendants de Jan Six 1er (1618-1700). Elle augmente encore l'attachement que les spectateurs peuvent porter au film.


Bref, un film ultra-passionnant, montrant des gens passionnés et livrant un regard fin sur l'ensemble du monde des collectionneurs : héritiers, nouveaux acquéreurs, marchands, galeristes, directeurs de musées, experts, restaurateurs, aménageurs... L'occasion d'explorer leur univers entier, d'entrer dans leur intimité, de découvrir les intérieurs fastueux des demeures, des galeries et des musées.

L'acte de collectionner y est présenté comme une des activités les plus enivrantes et les plus émouvantes, rendant le collectionneur qualifié semblable à un artiste. Un bon documentaire, si possible à ne pas rater, en ces moments où le monde de l'art est contraint de vivre de manière restrictive ! Un film qui fait du bien.

Axel Gryspeerdt, 11 mai 2020.



Note de visionnage. My Rembrandt, encore un chef-d’œuvre, cinématographiquement parlant, du Maître ?


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